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Sacré calcaire

La pierre est là…Depuis des milliers d’années…L’eau, le vent, le gel, le dégel, l’ont façonnée, l’ont modelée, l’ont creusée…

Des hommes, les «premiers hommes », ont vite apprécié sa chaleur, sa profondeur et sa protection. Ils ont laissé des traces gravées vigoureusement sur les parois de cavernes, témoignages toujours vivants de leur goût du beau, de leur vision du monde, de leurs mythes et de leurs croyances…

Puis d’autres sont venus… Constructeurs infatigables de nouveaux lieux sacrés… Et les petites églises romanes se sont mises à fleurir de partout, avec leur cimetière, les tombes à même le roc, les sarcophages monolithes… Et les châteaux, les forteresses, les remparts, les moulins, les maisonnettes….

Encore et encore, la pierre a continué d’être extraite de la falaise ou du sous-sol, d’être taillée, admirablement, pour d’autres édifices, non moins superbes, fruits du difficile et dangereux labeur des carriers.

Hommes et enfants, pic à la main, des profondeurs et dans l’obscurité adoucie par la lumière pâle et vacillante des lampes à acétylène, remontent des galeries souterraines la pierre dorée, vers le grand soleil… Encore et encore…

Tout comme leurs ancêtres de la préhistoire, certains carriers ont même laissé des dessins d’une réelle qualité artistique et d’une richesse insoupçonnée sur les murs humides et solitaires.

Aujourd’hui, la pierre est toujours là… Encore… Elle est avec la rivière un élément essentiel du paysage du pays de Bourg. Elle en a façonné son identité, son architecture, son histoire.

Parfois inquiétante et fragile mais en même temps très forte et belle, chargée de légendes, de mystères, de mémoire et de scènes de vie à jamais disparues, elle mérite, simplement, ce modeste hommage.
 

Marc MARTINEZ
Ministère de la cultureCentre des monuments nationaux
Conservateur de la grotte Pair-non-Pai
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Géologie, quelques repères

L’ensemble du substrat(1) rocheux sur la rive droite de la Dordogne et de la Gironde, entre Saint André de Cubzac et Blaye, correspond à un imposant socle calcaire de 5 à 25 mètres d’épaisseur. Ce calcaire qui compose l’essentiel du plateau rocheux possède des caractéristiques propres qui lui ont logiquement valu un titre spécifique : le calcaire à astéries (étoile de mer).

Cette importante accumulation de calcaire correspond en fait à plusieurs niveaux superposés où il est possible d’observer de nombreuses autres formes de fossiles : des mollusques, des crustacés, des échinodermes(2) et des polypiers(3) qui révèlent la présence de récifs et confirment la formation de ces roches en eaux peu profondes et chaudes. Ces différentes superpositions s’expliquent par la diversification des sédiments déposés au rythme de transgressions (montées du niveau marin) et de régressions marines (baisses du niveau marin) successives, mais aussi par les apports du continent déjà fortement érodé. Les calcaires à astéries ont aussi recouvert des roches plus anciennes commes les calcaires gréseux(4) également à débris fossiles appelés « calcaires de Saint-Estèphe » ou des molasses dites du Fronsadais. On remarque aussi des formations plus récentes comme des accumulations de colluvions(5) nées de la détérioration des roches plus anciennes ou encore l’accumulation de limons ocre jaunes à rouges dits « limons du Bourgeais » qui sont des apports éoliens de la fin de la préhistoire bien connus pour avoir comblé en partie la grotte de Pair-non-Pair.

Le plateau rocheux de Bourg par exemple est fracturé en plusieurs endroits. Certaines de ces fractures ou failles secondaires coupent le plateau calcaire sous forme de vallées profondes perpendiculaires au fleuve et donc à la grande faille de Gironde. Elles coïncident généralement avec les zones basses humides comblées à des dates récentes par les dépôts flandriens de l’estuaire (depuis 18000 ans) et donnent aujourd’hui des marais à travers lesquels les cours d’eau se sont taillés un passage : marais du Moron, marais du Brouillon, marais de Prignac et Marcamps, etc…

Enfin, la Dordogne qui longe les falaises en reprenant l’emplacement d’une importante faille géologique, offrait des facilités de transport non négligeables au moment où l’homme s’est mis à exploiter ce calcaire. A Marcamps, les carriers utilisaient le Moron, l’un des principaux affluents de la Dordogne entre Libourne et le Bec d’Ambès. A cette fin, un port fut même aménagé dans le Moron en 1667, au pied du village de Marcamps : »Rôle de la dépense faite pour l’excavation » et curement d’un nouveau canal (…) dans l’estey du Pont-du-Moron, qui verse dans la Dordogne, afin de porter les pierres qu’on tire des carrières du Cubzaguais aux fortifications du Château Trompette à Bordeaux suivant l’ordonnance de Monseigneur Pellot, intendant de Guyenne (4 mai 1667).

Didier COQUILLAS
Cercle Historique du Pays de Bourg
Association Océan

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Une morphologie estuarienne

Notre région appartient à la bordure septentrionale du bassin d’Aquitaine. Le tracé de la Gironde, comme celui de la Garonne et de la Dordogne, est en grande partie déterminé par la structure géologique superficielle et profonde des pays que ces fleuves traversent. La nature des sols éclaire souvent les raisons de l’évolution du paysage.

Les terrains et les sols du pourtour de l’estuaire sont d’une très grande diversité et révèlent une véritable mosaïque de sols extrêmement complexes.

La rive droite, dans la partie amont de l’estuaire (entre Cubzac au sud et Blaye au nord), est formée d’une succession de formations calcaires tertiaires modelées en falaises par l’érosion fluviale. La décalcification de ce calcaire et l’apport superficiel de nouveaux éléments (apports éoliens, colluvions, etc…) donnent naissance à une couverture de sols argilo-calcaires de qualité, susceptibles de favoriser l’installation humaine.

Didier COQUILLAS
Cercle Historique du Pays de Bourg
Association Océan

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Les carrières

• Les carriers :

Les carriers étaient des ouvriers libres et pouvaient être propriétaires ou locataires de leurs carrières. La plupart alternaient le travail de la pierre avec d’autres activités (la viticulture, la pêche, l’artisanat, et…).

Les carriers extrayaient et taillaient les pierres uniquement. Le transport était assuré par des femmes et des enfants au moyen de brouettes ou brancards. Ensuite elles étaient acheminées par des bouviers vers des quais ou des ports longeant la Gironde. Puis, elles prenaient la direction de Bordeaux par gabares.

Avant l’embarquement, des marchands achetaient les pierres, puis les revendaient sur les quais à Bordeaux. Au XXIème siècle, un esprit mercantile va s’instaurer chez les marchands de pierres et aboutira à des conflits qui opposeront architectes, marchands, matelots et carriers.

La cause réelle de ces malversations était dûe au monopole pratiqué par certains emparoleurs issus de la population locale, lesquels abusant de la naïveté des carriers, achetaient la pierre à très bon marché et la revendaient à leurs mots. Cette course vers le dérèglement et la spéculation durera pendant la plus grande partie de ce siècle.

Certains carriers faisaient fortune à l’exception des journaliers qui étaient très pauvres et habitaient dans des cavités creusées dans la falaise (habitat troglodytique).

• Deux types de catégories de carrières :

Les carrières à ciel ouvert, où l’ont pratiquait deux techniques de taille :
– les banquettes (même principe que pour la fouille archéologique).
– Les tranchées pour obtenir des pierres plates.

Les carrières souterraines, qui pouvaient débuter ou se poursuivre à ciel ouvert. On distinguait deus sortes d’accès, le puits et le cavage à bouche. Cette dernière appellation désigne une simple ouverture s’enfonçant dans le sous-sol.

Au XIXème siècle, on rencontrait également un troisième type de carrières, que l’on nommait « par tombée » (souvent utilisé à Bourg).
Le principe était simple, un carrier creusait à la base un pan de falaise de façon empirique, jusqu’à ce qu’il s’écroule. Le débitage à l’air libre était plus simple.
Mais, de nombreux carriers se sont retrouvés ensevelis sous la falaise. Ce procédé présentant de réels dangers, il fut rapidement interdit.

Les carrières qui fournissaient la pierre moyennement dure se situaient entre le ruisseau de Gauriac et Bourg : les plus dures, entre Tauriac et Cubzac les ponts.

• La pierre

La pierre de gironde est un calcaire à astéries éogènes qui date de l’ère tertiaire (60 millions d’années).
La production se divisait en deux grandes catégories, les moellons (fragments de rochers non taillés) et les pierres de taille (taillées en fonction de côtes précises).

L’unité de base dont se servaient les carriers était le pied (32,5cm). Les différentes appellations se définissaient par (mesures en pied, dimension longueur x largeur x hauteur) :

– Le doubleron : 2 x 1 x 1;
– la pièce d’appareil : 2 x 2 x 1;
– la demi-pierre : 2 x 1,5 x 1;
– le courbeau : 3 x 1 x 1;
– le marche-pied : 1 x 1 x1/2.

La pierre était utilisée pour son abondance, sa proximité de Bordeaux, sa consistance qui lui permet de résister au gel, au vieillissement, au poids, à l’air et au maladies. Enfin, elle était sélectionnée en fonction de son aspect et de la blancheur de son grain.

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Quelle exploitation !

• L’utilisation de la pierre

Quand la colonisation romaine abandonna les camps des centurions pour s’installer dans un habitat permanent, elle construisit des maisons de pierre.
Cette pierre fut prise sur place et c’est là l’origine des carrières.

• Les carrières au XVIIème et XVIIIème siècle

A partir du XVIIème siècle, les carrières de la Gironde furent accaparées par la ville de Bordeaux, notamment pour la construction du château Trompette (1653). L’importance considérable de cette citadelle, comparable à celle de Blaye a exigé des quantités énormes de pierres et moellons. Les carrières de Bourg notamment ont été mises largement à contribution.

Le Grand Théatre de Bordeaux occupe une grande place dans le coeur des Bordelais. Toutefois peu de gens de Bordeaux connaissent l’importance de la pierre de Bourg dans la construction de cet édifice.

La lecture d’un rapport établi le 20 juillet 1774 par l’architecte PARIS, en inspection à Bordeaux, nous apprend pourquoi Victor Louis, l’architecte du grand théatre a choisi les moellons et les pierres de la « Roque » et « de Bourg » pour son théatre.

Le rapport indique que la pierre de Bourg a été utilisée pour la cathédrale St André, pour St Michel, pour la place Royale (actuelle place de la Bourse).

• Les carrières du XIXème et Xxème siècle

L’exploitation des carrières au début du XIXème siècle fut intensive et toucha une part importante de la population. L’amplitude du réseau souterrain et la taille des grands cirques, indique l’importance de la population de travailleurs qui vivait du travail de la pierre dans le pays. On estime entre 1000 et 1500 personnes vivant de cette activité sur le territoire.

Les propriétaires de vignobles découvrant la richesse enfouie sous leurs pieds, louaient au pierriers, à des prix abusifs, les galeries situées sous leurs terres ou des tombées de rocher.

Le désir d’augmenter les profits, aussi bien pour le propriétaire du terrain que pour le pierrier, incitait ce dernier à travailler au détriment de la sécurité.

Des contrôles réguliers s’avéraient indispensables et l’administration impériale créa des conducteurs « voyers » et des ingénieurs des mines. Toute carrière pouvait être ouverte en régie, avec les communes ou par des marchés particuliers avec les entrepreneurs avec l’autorisation du sous-préfet.

Après la guerre de 1870, un ancien contremaître des carrières de Montrouge, de passage en Gironde eut l’idée de cultiver des « champignons de Paris » dans les carrières abandonnées. Certains habitants l’imitèrent et après quelques échecs, la réussite vint.

Au XX siècle, à Prignac et Marcamps, Bourg et St Laurent d’Arce , 750 ouvriers travaillaient les champignons et produisaient près de 100 kgs par jour.

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Grotte de Pair-Non-Pair, sanctuaire préhistorique

Située sur le territoire de la commune de Prignac et Marcamps, la grotte de Pair-non-Pair est la plus occidentale des cavernes ornées du bassin prestigieux de la Dordogne, le plus riche au monde en vestiges préhistoriques.

La caverne s’ouvre dans un promontoire de calcaires stampiens et résulte d’une circulation d’eau guidée par une diaclase bien visible à la voûte. Quelques autres abris s’ouvrent dans ce même massif et dans cette gorge taillée par le Moron :

– L’abri de Jolias, à Marcamps, fouillé dès 1874 par Daleau et Gassies.
– La grotte des Fées où François Daleau mettra en évidence une riche industrie magdalénienne.
– La carrière de Bonnefont, toujours à Marcamps, où seront mis au jour en 1877 de nombreux ossements d’animaux préhistoriques.

Mais c’est Pair-non-Pair, qui, de tous les sites préhistoriques de Gironde, reste le plus célèbre et , sans aucun doute, le plus important. De riches couches archéologiques ont livré par milliers des silex taillés, des ossements travaillés, de très beaux objets de parure et des milliers d’ossements d’animaux, s’échelonnant du Moustérien (-80000 ans), à la fin du Périgordien supérieur (enrivon – 18000 ans).

C’est le 6 mars 1881, que François Daleau découvre Pair-non-Pair mais ce n’est que bien plus tard, le 27 décembre 1883, qu’il remarquera les premiers traits gravés. Ces animaux profondément gravés sur les parois, ces véritables eouvres d’art, constituent un des premiers grands assemblages de l’art pariétal paléolithique et contribuèrent en cette fin du XIXème siècle à justifier le caractère authentique de telles représentations puisque ce n’est qu’au fur et à mesure du déblaiement des couches archéologiques préhistoriques, elles ne pouvaient être que l’oeuvre de l’homme préhistorique…

Il est donc admis que les animaux gravés de Pair-non-Pair sont de la période Aurignacienne (-32000 ans à -27000 ans avant Jésus Christ) et sont ainsi considérés comme figurant parmi les plus anciennes oeuvres d’art connues au monde…

La zone ornée comporte au total 36 animaux complets ou non, très profondément gravés. Bien que non représentés dans la faune chassée et consommée par les occupants de la grotte, ce sont les gravures de bouquetins qui dominent suivis des chevaux, des bisons, des cervidés et des mammouths. Si toutes les figurations de Pair-non-Pair sont superbes et dans un état de conservation remarquables, les représentations suivantes méritent le qualificatif d’exceptionnelles :

– Deux chevaux avec la tête retournée où dans l’apparente simplicité apparaît la beauté réelle du mouvement.
– Un cervidé Mégacéros, cerf préhistorique géant dont la ramure pouvait atteindre quatre mètres d’envergure et dont les représentations artistiques sont très rares.
– Un cheval géant (2,50 mètres de long), la plus grande représentation gravée d’équidé connue du Paléolithique supérieur.

Ainsi, malgré la modestie de sa taille, la grotte de Pair-non-Pair constitue par l’ampleur de la séquence chrono stratigraphique découverte, par l’abondance des vestiges d’occupation qu’elle recelait, par la lisibilité aisée et la conservation remarquable de ses oeuvres gravées, un site majeur de la préhistoire mondiales.

Marc MARTINEZ

Ministère de la culture
Centre des monuments nationaux
Conservateur de la grotte Pair-non-Pair